Grande-Bretagne: derrière la polémique, la charia est déjà à l'oeuvre

Publié le par Ulysse

LONDRES (AFP) — Les Britanniques ont accueilli avec effarement les propos du chef des Anglicans Rowan Williams suggérant d'adopter certains aspects de la loi islamique, mais ignorent souvent qu'elle y est déjà appliquée à l'ombre du droit civil pour résoudre des différends familiaux.

La loi islamique, ou charia, n'est pas reconnue en Grande-Bretagne. En se disant favorable la semaine passée à son introduction partielle, Rowan Williams se l'est vu rappeler par le gouvernement, qui a réaffirmé la primauté du droit britannique.

Mais en évoquant une issue "inévitable", l'archévêque de Canterbury a pris acte d'un fait volontiers occulté: depuis longtemps déjà, les musulmans se sont tournés vers un système juridique officieux relevant de la charia pour régler certains litiges, de nature non pénale.

Une dizaine de tribunaux islamiques existent ainsi dans le pays. Le Conseil islamique de la charia (Islamic Sharia Council) de Leyton, à l'est de Londres, est le plus important. Depuis sa création en 1982, il a traité 7.000 cas de divorces en conformité avec le droit coranique. "Nous agissons en tant que tribunal religieux, ce qui signifie que nous nous prononçons sur les litiges et rendons des jugements écrits, basés sur la charia, c'est-à-dire les principes et la jurisprudence islamiques", explique à l'AFP l'un de ses membres fondateurs, le mufti Barkatullah.

Le Conseil ne se substitue pas aux tribunaux civils, incontournables, mais intervient en complément pour prononcer ou non le divorce islamique, ou talaq. Les musulmans "respectent la loi du pays, mais la regardent comme une loi administrative, pas une loi divine", avance ce religieux chargé d'interpréter la loi coranique.

"Les questions du mariage et du divorce ne relèvent pas du domaine de l'Etat, elles sont d'ordre religieux", poursuit-il. Si les croyants n'ont obtenu un jugement qu'au civil, "leur perception est que leur devoir religieux et leur relation avec Dieu ne sont pas achevés".

Au premier étage d'un petit bureau anonyme de Leyton, le mufti Barkatullah est réuni avec Maulana Abu Sayeed et Suhaib Hasan, deux lettrés originaires comme lui du sous-continent indien, et Haitham Al-Haddad, natif d'Arabie saoudite, pour émettre des jugements.

Ils accordent le talaq à une femme battue par son époux qui souffre de troubles mentaux, et dont elle a obtenu le divorce civil en mai 2007. Selon la charia, le droit de divorcer revient d'abord à l'homme. Un divorce civil n'est ainsi automatiquement validé en droit islamique que si l'homme l'a réclamé ou a donné son consentement.

Si tel n'est pas le cas, la femme peut entamer une procédure de divorce, ou Khul'a, auprès du Conseil. Celui-ci cherchera soit à obtenir le consentement de l'époux, soit à réconcilier le couple, ou accordera à sa discrétion le talaq à la femme si le mari ne se manifeste pas ou est ostensiblement en tort.

"Nous examinons le cas à la lumière des objectifs fondamentaux du mariage", dit M. Barkatullah. "Une fois que nous sommes sûrs que le mariage ne marche pas, nous leur disons de se séparer. Si c'est réparable, nous le réparons. Si ça ne l'est pas, nous leur disons que l'indécision est plus dommageable que la séparation."

Selon un sondage publié en février 2006, 40% des 1,6 million de musulmans britanniques seraient favorables à l'introduction de la charia dans les zones majoritairement musulmanes. A en croire les membres du Conseil, les gens sont de plus en plus nombreux à s'en remettre à eux.

"Si le gouvernement ne choisit pas la voie politique, alors le consommateur aura le choix", reprend le mufti. "Si de plus en plus de personnes viennent vers nous de préférence aux tribunaux britanniques, on connaîtra leur choix. C'est ce qui se passe, c'est ce que l'archévêque dit: il faut des arrangements, c'est inévitable."

Publié dans Humeur du jour

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